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DES FEMMES



Les hommes et les femmes conviennent rarement sur le mérite d’une femme ; leurs intérêts sont trop différents : les femmes ne se plaisent point les unes aux autres par les mêmes agréments qu’elles plaisent aux hommes ; mille manières qui allument dans ceux-ci les grandes passions forment entre elles l’aversion et l’antipathie.

❡ Il y a dans quelques femmes une grandeur artificielle, attachée au mouvement des yeux, à un air de tête, aux façons de marcher, et qui ne va pas plus loin ; un esprit éblouissant qui impose, et que l’on n’estime que parce qu’il n’est pas approfondi. Il y a dans quelques autres une grandeur simple, naturelle, indépendante du geste et de la démarche, qui a sa source dans le cœur et qui est comme une suite de leur haute naissance ; un mérite paisible, mais solide, accompagné de mille vertus qu’elles ne peuvent couvrir de toute leur modestie, qui échappent, et qui se montrent à ceux qui ont des yeux.

❡ J’ai vu souhaiter d’être fille, et une belle fille depuis treize ans jusqu’à vingt-deux, et après cet âge de devenir un homme.

❡ Quelques jeunes personnes ne connaissent point assez les avantages d’une heureuse nature et combien il leur serait utile de s’y abandonner ; elles affaiblissent ces dons du Ciel si rares et si fragiles par des manières affectées et par une mauvaise imitation ; leur son de voix et leur démarche sont empruntés[1] ; elles se composent, elles se recherchent, regardent dans un miroir si elles s’éloignent assez de leur naturel : ce n’est pas sans peine qu’elles plaisent moins.

  1. Quoique les éditions anciennes donnent empruntés, comme si, le mot son n’existait pas dans la phrase, et que le participe se rapportât aux deux substantifs féminins voix et démarche, nous avous cru pouvoir imprimer empruntés.