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oratoire, et ne la distinguent pas de l’entassement des figures, de l’usage des grands mots et de la rondeur des périodes.

Il semble que la logique est l’art de convaincre de quelque vérité, et l’éloquence un don de l’âme, lequel nous rend maîtres du cœur et de l’esprit des autres, qui fait que nous leur inspirons ou que nous leur persuadons tout ce qui nous plaît.

L’éloquence peut se trouver dans les entretiens et dans tout genre d’écrire ; elle est rarement où on la cherche, et elle est quelquefois où on ne la cherche point.

L’éloquence est au sublime ce que le tout est à sa partie.

Qu’est-ce que le sublime ? Il ne paraît pas qu’on l’ait défini. Est-ce une figure ? naît-il des figures, ou du moins de quelques figures ? Tout genre d’écrire reçoit-il le sublime, où s’il n’y a que les grands sujets qui en soient capables ? peut-il briller autre chose dans l’églogue qu’un beau naturel, et dans les lettres familières, comme dans les conversations, qu’une grande délicatesse ? ou plutôt le naturel et le délicat ne sont-ils pas le sublime des ouvrages dont ils font la perfection ? Qu’est-ce que le sublime ? où entre le sublime ?

Les synonymes sont plusieurs dictions où plusieurs phrases différentes qui signifient une même chose. L’antithèse est une opposition de deux vérités qui se donnent du jour l’une à l’autre. La métaphore ou la comparaison emprunte d’une chose étrangère une image sensible et naturelle d’une vérité. L’hyperbole exprime au delà de la vérité pour ramener l’esprit à la mieux connaître. Le sublime ne peint que la vérité, mais en un sujet noble ; il la peint tout entière dans sa cause et dans son effet ; il est l’expression ou l’image la plus digne de cette vérité. Les esprits médiocres ne trouvent point l’unique expression, et usent de synonymes. Les jeunes gens sont éblouis de l’éclat de l’antithèse, et s’en servent. Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore. Les esprits vifs, pleins de feu et qu’une vaste imagination emporte hors des règles et de la justesse, ne peuvent s’assouvir de l’hyperbole ; pour le sublime, il n’y a même entre les grands génies que les plus élevés qui en soient capables.

❡ Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage