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peut dire qu’ils les ont bien payés, et que ce n’est pas un présent du ciel. » Il est inexorable à celui qui sans dessein l’aura poussé légèrement, ou lui aura marché sur le pied : c’est une faute qu’il ne pardonne pas. La première chose qu’il dit à un ami qui lui emprunte quelque argent, c’est qu’il ne lui en prêtera point : il va le trouver ensuite, et le lui donne de mauvaise grâce, ajoutant qu’il le compte perdu. Il ne lui arrive jamais de se heurter à une pierre qu’il rencontre en son chemin, sans lui donner de grandes malédictions. Il ne daigne pas attendre personne ; et si l’on diffère un moment à se rendre au lieu dont l’on est convenu avec lui, il se retire. Il se distingue toujours par une grande singularité : il ne veut ni chanter à son tour, ni réciter dans un repas, ni même danser avec les autres. En un mot, on ne le voit guère dans les temples importuner les Dieux, et leur faire des vœux ou des sacrifices.


DE LA SUPERSTITION


La superstition semble n’être autre chose qu’une crainte mal réglée de la Divinité. Un homme superstitieux, après avoir lavé ses mains et s’être purifié avec de l’eau lustrale, sort du temple, et se promène une grande partie du jour avec une feuille de laurier dans sa bouche. S’il voit une belette, il s’arrête tout court, et il ne continue pas de marcher que quelqu’un n’ait passé avant lui par le même endroit que cet animal a traversé, ou qu’il n’ait jeté lui-même trois petites pierres dans le chemin, comme pour éloigner de lui ce mauvais présage. En quelque endroit de sa maison qu’il ait aperçu un serpent, il ne diffère pas d’y