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animaux ? ressemblent-ils aux hommes ? sont-ce des hommes ? Laissez-moi voir après vous ; et si nous sommes convaincus l’un et l’autre que des hommes habitent la lune, examinons alors s’ils sont chrétiens, et si Dieu a partagé ses faveurs entre eux et nous.

46 (VIII)

Tout est grand et admirable dans la nature ; il ne s’y voit rien qui ne soit marqué au coin de l’ouvrier ; ce qui s’y voit quelquefois d’irrégulier et d’imparfait suppose règle et perfection. Homme vain et présomptueux ! faites un vermisseau que vous foulez aux pieds, que vous méprisez ; vous avez horreur du crapaud, faites un crapaud, s’il est possible. Quel excellent maître que celui qui fait des ouvrages, je ne dis pas que les hommes admirent, mais qu’ils craignent ! Je ne vous demande pas de vous mettre à votre atelier pour faire un homme d’esprit, un homme bien fait, une belle femme : l’entreprise est forte et au-dessus de vous ; essayez seulement de faire un bossu, un fou, un monstre, je suis content.

Rois, Monarques, Potentats, sacrées Majestés ! vous ai-je nommés par tous vos superbes noms ? Grands de la terre, très hauts, très puissants, et peut-être bientôt tout-puissants Seigneurs ! nous autres hommes nous avons besoin pour nos moissons d’un peu de pluie, de quelque chose de moins, d’un peu de rosée : faites de la rosée, envoyez sur la terre une goutte d’eau.

L’ordre, la décoration, les effets de la nature sont populaires ; les causes, les principes ne le sont point. Demandez à une femme comment un bel œil n’a qu’à s’ouvrir pour voir, demandez-le à un homme docte.

47 (VII)

Plusieurs millions d’années, plusieurs centaines de millions d’années, en un mot tous les temps ne sont qu’un instant, comparés à la durée de Dieu, qui est éternelle : tous les espaces du monde entier ne sont qu’un point, qu’un léger atome, comparés à son immensité. S’il est ainsi, comme je l’avance, car quelle proportion du fini à l’infini ? je demande : Qu’est-ce que le cours de la vie d’un homme ? qu’est-ce qu’un grain de poussière qu’on appelle la terre ? qu’est-ce qu’une petite portion de cette terre que l’homme possède et qu’il habite ? — Les méchants prospèrent pendant qu’ils vivent. — Quelques méchants, je l’avoue. — La vertu est opprimée, et le crime impuni sur la terre. — Quelquefois, j’en