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les deux lignes qui partiraient de leurs yeux pour aboutir jusqu’à cet astre ne feraient pas un angle, et se confondraient en une seule et même ligne, tant la terre entière n’est pas espace par rapport à cet éloignement. Mais les étoiles ont cela de commun avec Saturne et avec le soleil : il faut dire quelque chose de plus. Si deux observateurs, l’un sur la terre et l’autre dans le soleil, observaient en même temps une étoile, les deux rayons visuels de ces deux observateurs ne formeraient point d’angle sensible. Pour concevoir la chose autrement, si un homme était situé dans une étoile, notre soleil, notre terre, et les trente millions de lieues qui les séparent, lui paraîtraient un même point : cela est démontré.

On ne sait pas aussi la distance d’une étoile d’avec une autre étoile, quelque voisines qu’elles nous paraissent. Les Pléiades se touchent presque, à en juger par nos yeux : une étoile paraît assise sur l’une de celles qui forment la queue de la grande Ourse ; à peine la vue peut-elle atteindre à discerner la partie du ciel qui les sépare, c’est comme une étoile qui paraît double. Si cependant tout l’art des astronomes est inutile pour en marquer la distance, que doit-on penser de l’éloignement de deux étoiles qui en effet paraissent éloignées l’une de l’autre, et à plus forte raison des deux polaires ? Quelle est donc l’immensité de la ligne qui passe d’une polaire à l’autre ? et que sera-ce que le cercle dont cette ligne est le diamètre ? Mais n’est-ce pas quelque chose de plus que de sonder les abîmes, que de vouloir imaginer la solidité du globe, dont ce cercle n’est qu’une section ? Serons-nous encore surpris que ces mêmes étoiles, si démesurées dans leur grandeur, ne nous paraissent néanmoins que comme des étincelles ? N’admirerons-nous pas plutôt que d’une hauteur si prodigieuse elles puissent conserver une certaine apparence, et qu’on ne les perde pas toutes de vue ? Il n’est pas aussi imaginable combien il nous en échappe. On fixe le nombre des étoiles : oui, de celles qui sont apparentes ; le moyen de compter celles qu’on n’aperçoit point, celle par exemple qui composent la voie de lait, cette trace lumineuse qu’on remarque au ciel