Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/349

Cette page n’a pas encore été corrigée


S’il arrive que les méchants vous haïssent et vous persécutent, les gens de bien vous conseillent de vous humilier devant Dieu, pour vous mettre en garde contre la vanité qui pourrait vous venir de déplaire à des gens de ce caractère ; de même si certains hommes, sujets à se récrier sur le médiocre, désapprouvent un ouvrage que vous aurez écrit, ou un discours que vous venez de prononcer en public, soit au barreau, soit dans la chaire, ou ailleurs, humiliez-vous : on ne peut guère être exposé à une tentation d’orgueil plus délicate et plus prochaine.

29 (IV)

Il me semble qu’un prédicateur devrait faire choix dans chaque discours d’une vérité unique, mais capitale, terrible ou instructive, la manier à fond et l’épuiser ; abandonner toutes ces divisions si recherchées, si retournées, si remaniées et si différenciées ; ne point supposer ce qui est faux, je veux dire que le grand ou le beau monde sait sa religion et ses devoirs ; et ne pas appréhender de faire, ou à ces bonnes têtes ou à ces esprits si raffinés, des catéchismes ; ce temps si long que l’on use à composer un long ouvrage, l’employer à se rendre si maître de sa matière, que le tour et les expressions naissent dans l’action, et coulent de source ; se livrer, après une certaine préparation, à son génie et au mouvement qu’un grand sujet peut inspirer : qu’il pourrait enfin s’épargner ces prodigieux efforts de mémoire qui ressemblent mieux à une gageure qu’à une affaire sérieuse, qui corrompent le geste et défigurent le visage ; jeter au contraire, par un bel enthousiasme, la persuasion dans les esprits et l’alarme dans le cœur, et toucher ses auditeurs d’une tout autre crainte que de celle de le voir demeurer court.

30 (IV)

Que celui qui n’est pas encore assez parfait pour s’oublier soi-même dans le ministère de la parole sainte ne se décourage point par les règles austères qu’on lui prescrit, comme si elles lui ôtaient les moyens de faire montre de son esprit, et de monter aux dignités où il aspire : quel plus beau talent que celui de prêcher apostoliquement ? et quel autre mérite mieux un évêché ? Fénelon en était-il indigne ? aurait-il pu échapper au choix du Prince que par un autre choix ? Des esprits forts

I (I)