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un plan… — Encore, dites-vous, et quelles préparations pour un discours de trois quarts d’heure qui leur reste à faire ! Plus ils cherchent à le digérer et à l’éclaircir, plus ils m’embrouillent. — Je vous crois sans peine, et c’est l’effet le plus naturel de tout cet amas d’idées qui reviennent à la même, dont ils chargent sans pitié la mémoire de leurs auditeurs. Il semble, à les voir s’opiniâtrer à cet usage, que la grâce de la conversion soit attachée à ces énormes partitions. Comment néanmoins serait-on converti par de tels apôtres, si l’on ne peut qu’à peine les entendre articuler, les suivre et ne les pas perdre de vue ? Je leur demanderais volontiers qu’au milieu de leur course impétueuse, ils voulussent plusieurs fois reprendre haleine, souffler un peu, et laisser souffler leurs auditeurs. Vains discours, paroles perdues ! Le temps des homélies n’est plus ; les Basiles, les Chrysostomes ne le ramèneraient pas ; on passerait en d’autres diocèses pour être hors de la portée de leur voix et de leurs familières instructions. Le commun des hommes aime les phrases et les périodes, admire ce qu’il n’entend pas, se suppose instruit, content de décider entre un premier et un second point, ou entre le dernier sermon et le pénultième.

6 (V)

Il y a moins d’un siècle qu’un livre français était un certain nombre de pages latines, où l’on découvrait quelques lignes ou quelques mots en notre langue. Les passages, les traits et les citations n’en étaient pas demeurés là : Ovide et Catulle achevaient de décider des mariages et des testaments, et venaient avec les Pandectes au secours de la veuve et des pupilles. Le sacré et le profane ne se quittaient point ; ils s’étaient glissés ensemble jusque dans la chaire : saint Cyrille, Horace, saint Cyprien, Lucrèce, parlaient alternativement ; les poètes étaient de l’avis de saint Augustin et de tous les Pères ; on parlait latin, et longtemps, devant des femmes et des marguilliers ; on a parlé grec. Il fallait savoir prodigieusement pour prêcher si mal. Autre temps, autre usage : le texte est encore latin, tout le discours est français, et d’un beau français ; l’Evangile même n’est pas cité. Il faut savoir aujourd’hui très peu de chose pour bien prêcher.

7 (IV)

L’on a enfin banni la scolastique de toutes les chaires des grandes villes, et on l’a reléguée dans les bourgs et