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Hermippe est l’esclave de ce qu’il appelle ses petites commodités ; il leur sacrifie l’usage reçu, la coutume, les modes, la bienséance. Il les cherche en toutes choses, il quitte une moindre pour une plus grande, il ne néglige aucune de celles qui sont praticables, il s’en fait une étude, et il ne se passe aucun jour qu’il ne fasse en ce genre une découverte. Il laisse aux autres hommes le dîner et le souper, à peine en admet-il les termes ; il mange quand il a faim, et les mets seulement où son appétit le porte. Il voit faire sont lit : quelle main assez adroite ou assez heureuse pourrait le faire dormir comme il veut dormir ? Il sort rarement de chez soi ; il aime la chambre, où il n’est ni oisif ni laborieux, où il n’agit point, où il tracasse, et dans l’équipage d’un homme qui a pris médecine. On dépend servilement d’un serrurier et d’un menuisier, selon ses besoins : pour lui, s’il faut limer, il a une lime ; une scie, s’il faut scier, et des tenailles, s’il faut arracher. Imaginez, s’il est possible, quelques outils qu’il n’ait pas, et meilleurs et plus commodes à son gré que ceux mêmes dont les ouvriers se servent : il en a de nouveaux et d’inconnus, qui n’ont point de nom, productions de son esprit, et dont il a presque oublié l’usage. Nul ne se peut comparer à lui pour faire en peu de temps et sans peine un travail fort inutile. Il faisait dix pas pour aller de son lit dans sa garde-robe, il n’en fait plus que neuf par la manière dont il a su tourner sa chambre : combien de pas épargnés dans le cours d’une vie ! Ailleurs l’on tourne la clef, l’on pousse contre, ou l’on tire à soi, et une porte s’ouvre : quelle fatigue ! voilà un mouvement de trop, qu’il sait s’épargner, et comment ? c’est un mystère qu’il ne révèle point. Il est, à la vérité, un grand maître pour le ressort et pour la mécanique, pour celle du moins dont tout le monde se passe. Hermippe tire le jour de son appartement d’ailleurs que de la fenêtre ; il a trouvé le secret de monter et de descendre autrement que par l’escalier, et il cherche celui d’entrer et de sortir plus commodément que par la porte.

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Il y a déjà longtemps que l’on improuve les médecins, et que l’on s’en sert ; le théâtre et la satire ne touchent point à leurs pensions ; ils dotent leurs filles, placent leurs fils aux parlements et dans la prélature, et les railleurs eux-mêmes fournissent l’argent. Ceux qui se portent bien deviennent