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de noblesse ne lui conviennent plus ; qu’elles n’honorent que le roturier, c’est-à-dire celui qui cherche encore le secret de devenir riche.

4 (IV)

Un homme du peuple, à force d’assurer qu’il a vu un prodige, se persuade faussement qu’il a vu un prodige. Celui qui continue de cacher son âge pense enfin lui-même être aussi jeune qu’il veut le faire croire aux autres. De même le roturier qui dit par habitude qu’il tire son origine de quelque ancien baron ou de quelque châtelain, dont il est vrai qu’il ne descend pas, a le plaisir de croire qu’il en descend.

5 (IV)

Quelle est la roture un peu heureuse et établie à qui il manque des armes, et dans ces armes une pièce honorable, des suppôts, un cimier, une devise, et peut-être le cri de guerre ? Qu’est devenue la distinction des casques et des heaumes ? Le nom et l’usage en sont abolis ; il ne s’agit plus de les porter de front ou de côté, ouverts ou fermés, et ceux-ci de tant ou de tant de grilles : on n’aime pas les minuties, on passe droit aux couronnes, cela est plus simple ; on s’en croit digne, on se les adjuge. Il reste encore aux meilleurs bourgeois une certaine pudeur qui les empêche de se parer d’une couronne de marquis, trop satisfaits de la comtale ; quelques-uns même ne vont pas la chercher fort loin, et la font passer de leur enseigne à leur carrosse.

6 (I)

Il suffit de n’être point né dans une ville, mais sous une chaumière répandue dans la campagne, ou sous une ruine qui trempe dans un marécage et qu’on appelle château, pour être cru noble sur sa parole.

7 (IV)

Un bon gentilhomme veut passer pour un petit seigneur, et il y parvient. Un grand seigneur affecte la principauté, et il use de tant de précautions, qu’à force de beaux noms, de disputes sur le rang et les préséances, de nouvelles armes, et d’une généalogie que D’Hozier ne lui a pas faite, il devient enfin un petit prince.

8 (VIII)

Les grands en toutes choses se forment et se moulent sur de plus grands, qui de leur part, pour n’avoir rien de commun avec leurs inférieurs, renoncent volontiers à toutes les rubriques d’honneurs et de distinctions dont leur condition se trouve chargée, et préfèrent à cette servitude une vie plus libre et plus commode. Ceux qui suivent leur piste