quelques grands ont médité ; ils en parlent avec intérêt ; il leur plaît même par la hardiesse ou par la nouveauté que l’on lui impute ; ils y sont déjà accoutumés, et n’en attendent que le succès, lorsque, venant au contraire à avorter, ils décident avec confiance, et sans nulle crainte de se tromper, qu’il était téméraire et ne pouvait réussir.
II5 (IV)
Il y a de tels projets, d’un si grand éclat et d’une conséquence si vaste, qui font parler les hommes si longtemps, qui font tant espérer ou tant craindre, selon les divers intérêts des peuples, que toute la gloire et toute la fortune d’un homme y sont commises. Il ne peut pas avoir paru sur la scène avec un si bel appareil pour se retirer sans rien dire ; quelques affreux périls qu’il commence à prévoir dans la suite de son entreprise, il faut qu’il l’entame : le moindre mal pour lui est de la manquer.
II6 (VIII)
Dans un méchant homme il n’y a pas de quoi faire un grand homme. Louez ses vues et ses projets, admirez sa conduite, exagérez son habileté à se servir des moyens les plus propres et les plus courts pour parvenir à ses fins : si ses fins sont mauvaises, la prudence n’y a aucune part ; et où manque la prudence, trouvez la grandeur, si vous le pouvez.
II7 (VI)
Un ennemi est mort qui était à la tête d’une armée formidable, destinée à passer le Rhin ; il savait la guerre, et son expérience pouvait être secondée de la fortune : quels feux de joie a-t-on vus ? quelle fête publique ? Il y a des hommes au contraire naturellement odieux ; et dont l’aversion devient populaire : ce n’est point précisément par les progrès qu’ils font, ni par la crainte de ceux qu’ils peuvent faire, que la voix du peuple éclate à leur mort, et que tout tressaille, jusqu’aux enfants, dès que l’on murmure dans les places que la terre enfin en est délivrée.
II8 (V)
« O temps ! ô mœurs ! s’écrie Héraclite, ô malheureux siècle ! siècle rempli de mauvais exemples, où la vertu souffre, où le crime domine, où il triomphe ! Je veux être un Lycaon, un Aegiste ; l’occasion ne peut être meilleure, ni les conjonctures plus favorables, si je désire du moins de fleurir et de prospérer. Un homme dit : » Je passerai la