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l’envie de voir les a portés, et où il ne laissait pas d’y avoir du péril, des hasards qu’ils ont courus à leur retour d’être pris ou tués par l’ennemi : ils taisent seulement qu’ils ont eu peur.

I00 (IV)

C’est le plus petit inconvénient du monde que de demeurer court dans un sermon ou dans une harangue : il laisse à l’orateur ce qu’il a d’esprit, de bon sens, d’imagination, de mœurs et de doctrine ; il ne lui ôte rien ; mais on ne laisse pas de s’étonner que les hommes, ayant voulu une fois y attacher une espèce de honte et de ridicule, s’exposent par de longs et souvent d’inutiles discours, à en courir tout le risque.

I0I (IV)

Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à se plaindre de sa brièveté : comme ils le consument à s’habiller, à manger, à dormir, à de sots discours, à se résoudre sur ce qu’ils doivent faire, et souvent à ne rien faire, ils en manquent pour leurs affaires ou pour leurs plaisirs ; ceux au contraire qui en font un meilleur usage en ont de reste.

Il n’y a point de ministre si occupé qui ne sache perdre chaque jour deux heures de temps : cela va loin à la fin d’une longue vie ; et si le mal est encore plus grand dans les autres conditions des hommes, quelle perte infinie ne se fait pas dans le monde d’une chose si précieuse, et dont l’on se plaint qu’on n’a point assez !

I02 (IV)

Il y a des créatures de Dieu qu’on appelle des hommes qui ont une âme qui est esprit, dont toute la vie est occupée et toute l’attention est réunie à scier du marbre : cela est bien simple, c’est bien peu de chose. Il y en a d’autres qui s’en étonnent, mais qui sont entièrement inutiles, et qui passent les jours à ne rien faire : c’est encore moins que de scier du marbre.

I03 (V)

La plupart des hommes oublient si fort qu’ils ont une âme, et se répandent en tant d’actions et d’exercices où il semble qu’elle est inutile, que l’on croit parler avantageusement de quelqu’un en disant qu’il pense ; cet éloge même est devenu vulgaire, qui pourtant ne met cet homme qu’au-dessus du chien ou du cheval.

I04

(IV) « À quoi vous divertissez-vous ? à quoi passez-vous le temps ? »