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sur ce qui se débite au marché, sur la cherté du blé, sur le grand nombre d’étrangers qui sont dans la ville ; il dit qu’au printemps où commencent les Bacchanales[1] la mer devient navigable, qu’un peu de pluie serait utile aux biens de la terre et ferait espérer une bonne récolte ; qu’il cultivera son champ l’année prochaine et qu’il le mettra en valeur ; que le siècle est dur et qu’on a bien de la peine à vivre. Il apprend à cet inconnu que c’est Damippe qui a fait brûler la plus belle torche devant l’autel de Cérès, à la fête des Mystères[2] ; il lui demande combien de colonnes soutiennent le théâtre de la musique, quel est le quantième du mois ; il lui dit qu’il a eu la veille une indigestion ; et, si cet homme à qui il parle a la patience de l’écouter, il ne partira pas d’auprès de lui, il lui annoncera comme une chose nouvelle que les Mystères[3] se célèbrent dans le mois d’août, les Apaturies[4] au mois d’octobre, et à la campagne dans le mois de décembre les Bacchanales[5]. Il n’y a avec de si grands causeurs qu’un parti à prendre, qui est de fuir, si l’on veut éviter la fièvre : car quel moyen de pouvoir tenir contre des gens qui ne savent pas discerner ni votre loisir ni le temps de vos affaires ?


DE LA RUSTICITÉ


Il semble que la rusticité n’est autre chose qu’une ignorance grossière des bienséances. L’on voit en effet des gens rustiques et sans réflexion sortir un jour de médecin[6] et

  1. Premières Bacchanales qui se célébraient dans la ville.
  2. Les mystères de Cérès se célébraient la nuit, et il y avait une émulation entre les Athéniens à qui apporterait une plus grande torche.
  3. Fête de Cérès, V. ci-dessus.
  4. En français, la fête des Tromperies ; elle se faisait en l’honneur de Bacchus. Son origine ne fait rien aux mœurs de ce chapitre.
  5. Secondes Bacchanales qui se célébraient en hiver à la campagne.
  6. Le texte grec nomme une certaine drogue qui rendait l’haleine fort mauvaise le jour qu’on l’avait prise.