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ensemble pour se défendre et pour l’arrêter ; qu’elles se liguent en vain, qu’il marche toujours et qu’il triomphe toujours ; que leurs dernières espérances soient tombées par le raffermissement d’une santé qui donnera au monarque le plaisir de voir les princes ses petits-fils soutenir ou accroître ses destinées, se mettre en campagne, s’emparer de redoutables forteresses, et conquérir de nouveaux Etats ; commander de vieux et expérimentés capitaines, moins par leur rang et leur naissance que par leur génie et leur sagesse ; suivre les traces augustes de leur victorieux père ; imiter sa bonté sa docilité, son équité, sa vigilance, son intrépidité ? Que me servirait en un mot, comme à tout le peuple, que le prince fût heureux et comblé de gloire par lui-même et par les siens, que ma patrie fût puissante et formidable, si, triste et inquiet, j’y vivais dans l’oppression ou dans l’indigence ; si, à couvert des courses de l’ennemi, je me trouvais exposé dans les places ou dans les rues d’une ville au fer d’un assassin, et que je craignisse moins dans l’horreur de la nuit d’être pillé ou massacré dans d’épaisses forêts que dans ses carrefours ; si la sûreté, l’ordre et la propreté ne rendaient pas le séjour des villes si délicieux, et n’y avaient pas amené, avec l’abondance, la douceur de la société ; si, faible et seul de mon parti, j’avais à souffrir dans ma métairie du voisinage d’un grand, et si l’on avait moins pourvu à me faire justice de ses entreprises ; si je n’avais pas sous ma main autant de maîtres, et d’excellents maîtres, pour élever mes enfants dans les sciences ou dans les arts qui feront un jour leur établissement ; si, par la facilité du commerce, il m’était moins ordinaire de m’habiller de bonnes étoffes, et de me nourrir de viandes saines, et de les acheter peu ; si enfin, par les soins du prince, je n’étais pas aussi content de ma fortune, qu’il doit lui-même par ses vertus l’être de la sienne ?

25 (VII)

Les huit ou les dix mille hommes sont au souverain comme une monnaie dont il achète une place ou une victoire : s’il fait qu’il lui en coûte moins, s’il épargne les hommes, il ressemble à celui qui marchande et qui connaît mieux qu’un autre le prix de l’argent.

26 (VII)

Tout prospère dans une monarchie où l’on confond les intérêts de l’Etat avec ceux du prince.

27 (VII)

Nommer un roi Père du peuple est moins faire son é