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en y entrant comme un nouveau monde qui lui était inconnu, où il voit régner également le vice et la politesse, et où tout lui est utile, le bon et le mauvais.

I0 (VI)

La cour est comme un édifice bâti de marbre : je veux dire qu’elle est composée d’hommes fort durs, mais fort polis.

II (I)

L’on va quelquefois à la cour pour en revenir, et se faire par là respecter du noble de sa province, ou de son diocésain.

I2 (I)

Le brodeur et le confiseur seraient superflus, et ne feraient qu’une montre inutile, si l’on était modeste et sobre : les cours seraient désertes, et les rois presque seuls, si l’on était guéri de la vanité et de l’intérêt. Les hommes veulent être esclaves quelque part, et puiser là de quoi dominer ailleurs. Il semble qu’on livre en gros aux premiers de la cour l’air de hauteur, de fierté et de commandement, afin qu’ils le distribuent en détail dans les provinces : ils font précisément comme on leur fait, vrais singes de la royauté.

I3 (I)

Il n’y a rien qui enlaidisse certains courtisans comme la présence du prince : à peine les puis-je reconnaître à leurs visages ; leurs traits sont altérés, et leur contenance est avilie. Les gens fiers et superbes sont les plus défaits, car ils perdent plus du leur ; celui qui est honnête et modeste s’y soutient mieux : il n’a rien à réformer.

I4 (I)

L’air de cour est contagieux : il se prend à V**, comme l’accent normand à Rouen ou à Falaise ; on l’entrevoit en des fourriers, en de petits contrôleurs, et en des chefs de fruiterie : l’on peut avec une portée d’esprit fort médiocre y faire de grands progrès. Un homme d’un génie élevé et d’un mérite solide ne fait pas assez de cas de cette espèce de talent pour faire son capital de l’étudier et se le rendre propre ; il l’acquiert sans réflexion, et il ne pense point à s’en défaire.

I5 (IV)

N** arrive avec grand bruit ; il écarte le monde, se fait faire place ; il gratte, il heurte presque ; il se nomme : on respire, et il n’entre qu’avec la foule.

I6 (I)

Il y a dans les cours des apparitions de gens aventuriers et hardis, d’un caractère libre et familier, qui se produisent eux-mêmes, protestent qu’ils ont dans leur art toute l’habileté qui manque aux autres, et qui sont crus sur leur parole. Ils profitent cependant de l’erreur publique, ou de l’amour qu’ont les hommes pour la nouveauté : ils percent la foule, et parviennent