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avec un essaim de gens de livrées, où ils ont fourni chacun leur part, les fait triompher au Cours ou à Vincennes, et aller de pair avec les nouvelles mariées, avec Jason, qui se ruine, et avec Thrason, qui veut se marier, et qui a consigné.

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(V) J’entends dire des Sannions : « Même nom, mêmes armes ; la branche aînée, la branche cadette, les cadets de la seconde branche ; ceux-là, portent les armes pleines, ceux-ci brisent d’un lambel, et les autres d’une bordure dentelée. » Ils ont avec les Bourbons, sur une même couleur, un même métal ; ils portent, comme eux, deux et une : ce ne sont pas des fleurs de lis, mais ils s’en consolent ; peut-être dans leur cœur trouvent-ils leurs pièces aussi honorables, et ils les ont communes avec de grands seigneurs qui en sont contents : on les voit sur les litres et sur les vitrages, sur la porte de leur château, sur le pilier de leur haute-justice, où ils viennent de faire pendre un homme qui méritait le bannissement ; elles s’offrent aux yeux de toutes parts, elles sont sur les meubles et sur les serrures, elles sont semées sur les carrosses ; leurs livrées ne déshonorent point leurs armoiries. Je dirais volontiers aux Sannions : « Votre folie est prématurée ; attendez du moins que le siècle s’achève sur votre race ; ceux qui ont vu votre grand-père, qui lui ont parlé, sont vieux, et ne sauraient plus vivre longtemps. Qui pourra dire comme eux : » Là il étalait, et vendait très cher" ?

(VII) Les Sannions et les Crispins veulent encore davantage que l’on dise d’eux qu’ils font une grande dépense, qu’ils n’aiment à la faire. Ils font un récit long et ennuyeux d’une fête ou d’un repas qu’ils ont donné ; ils disent l’argent qu’ils ont perdu au jeu, et ils plaignent fort haut celui qu’ils n’ont pas songé à perdre. Ils parlent jargon et mystère sur de certaines femmes ; ils ont réciproquement cent choses plaisantes à se conter ; ils ont fait depuis peu des découvertes ; ils se passent les uns aux autres qu’ils sont gens à belles aventures. L’un d’eux, qui s’est couché tard à la campagne, et qui voudrait dormir, se lève matin, chausse des guêtres, endosse un habit de toile, passe un cordon où pend le fourniment, renoue ses cheveux, prend un fusil : le voilà chasseur, s’il