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L’occasion prochaine de la pauvreté, c’est de grandes richesses.

S’il est vrai que l’on soit riche de tout ce dont on n’a pas besoin, un homme fort riche, c’est un homme qui est sage.

S’il est vrai que l’on soit pauvre par toutes les choses que l’on désire, l’ambitieux et l’avare languissent dans une extrême pauvreté.

50 (IV)

Les passions tyrannisent l’homme ; et l’ambition suspend en lui les autres passions, et lui donne pour un temps les apparences de toutes les vertus. Ce Tryphon qui a tous les vices, je l’ai cru sobre, chaste, libéral, humble et même dévot : je le croirais encore, s’il n’eût enfin fait sa fortune.

5I (IV)

L’on ne se rend point sur le désir de posséder et de s’agrandir : la bile gagne, et la mort approche, qu’avec un visage flétri, et des jambes déjà faibles, l’on dit : ma fortune, mon établissement.

52 (IV)

Il n’y a au monde que deux manières de s’élever, ou par sa propre industrie, ou par l’imbécillité des autres.

53 (I)

Les traits découvrent la complexion et les mœurs ; mais la mine désigne les biens de fortune : le plus ou le moins de mille livres de rente se trouve écrit sur les visages.

54 (IV)

Chrysante, homme opulent et impertinent, ne veut pas être vu avec Eugène, qui est homme de mérite, mais pauvre : il croirait en être déshonoré. Eugène est pour Chrysante dans les mêmes dispositions : ils ne courent pas risque de se heurter.

55 (VIII)

Quand je vois de certaines gens, qui me prévenaient autrefois par leurs civilités, attendre au contraire que je les salue, et en être avec moi sur le plus ou sur le moins, je dis en moi-même : « Fort bien, j’en suis ravi, tant mieux pour eux : vous verrez que cet homme-ci est mieux logé, mieux meublé et mieux nourri qu’à l’ordinaire ; qu’il sera entré depuis quelques mois dans quelque affaire, où il aura déjà fait un gain raisonnable. Dieu veuille qu’il en vienne dans peu de temps jusqu’à me mépriser ! »

56 (V)

Si les pensées, les livres et leurs auteurs dépendaient des riches et de ceux qui ont fait une belle fortune, quelle proscription ! Il n’y aurait plus de rappel. Quel ton, quel ascendant ne prennent-ils pas sur les savants ! Quelle majesté n’observent-ils pas à l’égard de ces hommes chétifs