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huitième denier : quelle monstrueuse fortune en moins de six années ! Elle n’arrive à l’église que dans un char ; on lui porte une lourde queue ; l’orateur s’interrompt pendant qu’elle se place ; elle le voit de front, n’en perd pas une seule parole ni le moindre geste. Il y a une brigue entre les prêtres pour la confesser ; tous veulent l’absoudre, et le curé l’emporte.

I7 (I)

L’on porte Crésus au cimetière : de toutes ses immenses richesses, que le vol et la concussion lui avaient acquises, et qu’il a épuisées par le luxe et par la bonne chère, il ne lui est pas demeuré de quoi se faire enterrer ; il est mort insolvable, sans biens, et ainsi privé de tous les secours ; l’on n’a vu chez lui ni julep, ni cordiaux, ni médecins, ni le moindre docteur qui l’ait assuré de son salut.

I8 (I)

Champagne, au sortir d’un long dîner qui lui enfle l’estomac, et dans les douces fumées d’un vin d’Avenay ou de Sillery, signe un ordre qu’on lui présente, qui ôterait le pain à toute une province si l’on n’y remédiait. Il est excusable : quel moyen de comprendre, dans la première heure de la digestion, qu’on puisse quelque part mourir de faim ?

I9 (IV)

Sylvain de ses deniers a acquis de la naissance et un autre nom : il est seigneur de la paroisse où ses aïeuls payaient la taille ; il n’aurait pu autrefois entrer page chez Cléobule, et il est son gendre.

20 (IV)

Dorus passe en litière par la voie Appienne, précédé de ses affranchis et de ses esclaves, qui détournent le peuple et font faire place ; il ne lui manque que des licteurs ; il entre à Rome avec ce cortège, où il semble triompher de la bassesse et de la pauvreté de son père Sanga.

2I (V)

On ne peut mieux user de sa fortune que fait Périandre : elle lui donne du rang, du crédit, de l’autorité ; déjà on ne le prie plus d’accorder son amitié, on implore sa protection. Il a commencé par dire de soi-même : un homme de ma sorte ; il passe à dire : un homme de ma qualité ; il se donne pour tel, et il n’y a personne de ceux à qui il prête de l’argent, ou qu’il reçoit à sa table, qui est délicate, qui veuille s’y opposer. Sa demeure est superbe ;