Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée


Quelques-uns ont fait dans leur jeunesse l’apprentissage d’un certain métier, pour en exercer un autre, et fort différent, le reste de leur vie.

9 (I)

Un homme est laid, de petite taille, et a peu d’esprit. L’on me dit à l’oreille : « Il a cinquante mille livres de rente. » Cela le concerne tout seul, et il ne m’en fera jamais ni pis ni mieux ; si je commence à le regarder avec d’autres yeux, et si je ne suis pas maître de faire autrement, quelle sottise !

I0 (IV)

Un projet assez vain serait de vouloir tourner un homme fort sot et fort riche en ridicule ; les rieurs sont de son côté.

II(IV)

N**, avec un portier rustre, farouche, tirant sur le Suisse, avec un vestibule et une antichambre, pour peu qu’il y fasse languir quelqu’un et se morfondre, qu’il paraisse enfin avec une mine grave et une démarche mesurée, qu’il écoute un peu et ne reconduise point : quelque subalterne qu’il soit d’ailleurs, il fera sentir de lui-même quelque chose qui approche de la considération.

I2 (VIII)

Je vais, Clitiphon, à votre porte ; le besoin que j’ai de vous me chasse de mon lit et de ma chambre : plût aux Dieux que je ne fusse ni votre client ni votre fâcheux ! Vos esclaves me disent que vous êtes enfermé, et que vous ne pouvez m’écouter que d’une heure entière. Je reviens avant le temps qu’ils m’ont marqué, et ils me disent que vous êtes sorti. Que faites-vous, Clitiphon, dans cet endroit le plus reculé de votre appartement, de si laborieux, qui vous empêche de m’entendre ? Vous enfilez quelques mémoires, vous collationnez un registre, vous signez, vous parafez. Je n’avais qu’une chose à vous demander, et vous n’aviez qu’un mot à me répondre, oui, ou non. Voulez-vous être rare ? Rendez service à ceux qui dépendent de vous : vous le serez davantage par cette conduite que par ne vous pas laisser voir. O homme important et chargé d’affaires, qui à votre tour avez besoin de mes offices, venez dans la solitude de mon cabinet : le philosophe est accessible ; je ne vous remettrai point à un autre jour. Vous me trouverez sur les livres de Platon qui traitent de la spiritualité de l’âme et de sa distinction d’avec le corps, ou la plume à la main pour calculer les distances de Saturne et de Jupiter : j’admire Dieu dans ses ouvrages, et je cherche, par la connaissance de