par un certain Leucippe[1], qui étoit de la même ville que luy ; de là il passa à l’École de Platon, et s’arrêta ensuite à celle d’Aristote, où il se distingua entre tous ses disciples. Ce nouveau maître, charmé de la facilité de son esprit et de la douceur de son élocution, luy changea son nom, qui étoit Tyrtame, en celui d’Euphraste, qui signifie celui qui parle bien ; et, ce nom ne répondant point assez à la haute estime qu’il avoit de la beauté de son genie et de ses expressions, il l’appela Theophraste, c’est à dire un homme dont le langage est divin. Et il semble que Ciceron ait entré dans les sentimens de ce philosophe lorsque, dans le livre qu’il intitule Brutus, ou des Orateurs illustres, il parle ainsi : « Qui est plus fecond et plus abondant que Platon ? plus solide et plus ferme qu’Aristote ? plus agreable et plus doux que Theophraste ? » Et dans quelques-unes de ses épîtres à Atticus on voit que, parlant du même Theophraste, il l’appelle son amy, que la lecture de ses livres luy étoit familiere, et qu’il en faisoit ses délices.
Aristote disoit de luy et de Calistene, un autre de ses disciples, ce que Platon avoit dit la première fois d’Aristote même et de Xenocrate : que Calistene étoit lent à concevoir et avoit l’esprit tardif, et que Theophraste, au contraire, l’avoit si vif, si perçant, si penetrant, qu’il comprenoit d’abord d’une chose tout ce qui en pouvoit être connu ; que l’un avoit besoin d’éperon pour estre excité, et qu’il falloit à l’autre un frein pour le retenir.
Il estimoit en celuy-cy sur toutes choses un caractere de douceur qui regnoit également dans ses mœurs et dans son style. L’on raconte que les disciples d’Aristote, voyant leur maître avancé en âge et d’une santé fort affoiblie, le prierent de leur nommer son successeur ; que, comme il avoit deux hommes dans son ecole sur qui seuls ce choix pouvoit tomber, Menedeme[2] le Rhodien et Theophraste d’Erese, par un esprit de ménagement pour celuy qu’il vouloit exclure, il se déclara de cette maniere : il feignit, peu de temps après que ses disciples luy eurent fait cette prière, et en leur presence, que le vin dont il faisoit un usage ordinaire luy étoit nuisible ; il se fit apporter des vins de Rhodes et de Lesbos : il goûta de tous les deux, dit qu’ils ne démentoient point leur terroir, et que chacun dans son genre étoit excellent ; que le premier avoit de la force, mais que celui de Lesbos avoit plus de douceur, et qu’il luy donnoit la preference. Quoy qu’il en soit de ce fait, qu’on lit dans Aulu-Gelle, il est certain que, lorsqu’Aristote, accusé par Eurimedon,