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plus sages sont souvent menés par le plus fou et le plus bizarre : l’on étudie son faible, son humeur, ses caprices, l’on s’y accommode ; l’on évite de le heurter, tout le monde lui cède ; la moindre sérénité qui paraît sur son visage lui attire des éloges : on lui tient compte de n’être pas toujours insupportable. Il est craint, ménagé, obéi, quelquefois aimé.

42 (IV)

Il n’y a que ceux qui ont eu de vieux collatéraux, ou qui en ont encore, et dont il s’agit d’hériter, qui puissent dire ce qu’il en coûte.

43 (I)

Cléante est un très honnête homme ; il s’est choisi une femme qui est la meilleure personne du monde et la plus raisonnable : chacun, de sa part, fait tout le plaisir et tout l’agrément des sociétés où il se trouve ; l’on ne peut voir ailleurs plus de probité, plus de politesse. Ils se quittent demain, et l’acte de leur séparation est tout dressé chez le notaire. Il y a, sans mentir, de certains mérites qui ne sont point faits pour être ensemble, de certaines vertus incompatibles.

44 (I)

L’on peut compter sûrement sur la dot, le douaire et les conventions, mais faiblement sur les nourritures ; elles dépendent d’une union fragile de la belle-mère et de la bru, et qui périt souvent dans l’année du mariage.

45 (V)

Un beau-père aime son gendre, aime sa bru. Une belle-mère aime son gendre, n’aime point sa bru. Tout est réciproque.

46 (V)

Ce qu’une marâtre aime le moins de tout ce qui est au monde, ce sont les enfants de son mari : plus elle est folle de son mari, plus elle est marâtre.

Les marâtres font déserter les villes et les bourgades, et ne peuplent pas moins la terre de mendiants, de vagabonds, de domestiques et d’esclaves, que la pauvreté.

47 (I)

G… et H… sont voisins de campagne, et leurs terres sont contiguës ; ils habitent une contrée déserte et solitaire. Eloignés des villes et de tout commerce, il semblait que la fuite d’une entière solitude ou l’amour de la société eût dû les assujettir à une liaison réciproque ; il est cependant difficile