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de temps, je ne dis pas que les seuls préliminaires, mais que le simple règlement des rangs, des préséances et des autres cérémonies.

Le ministre ou le plénipotentiaire est un caméléon, est un Protée. Semblable quelquefois à un joueur habile, il ne montre ni humeur ni complexion, soit pour ne point donner lieu aux conjectures ou se laisser pénétrer, soit pour ne rien laisse échapper de son secret par passion ou par faiblesse. Quelquefois aussi il sait feindre le caractère le plus conforme aux vues qu’il a et aux besoins où il se trouve, et paraître tel qu’il a intérêt que les autres croient qu’il est en effet. Ainsi dans une grande puissance, ou dans une grande faiblesse qu’il veut dissimuler, il est ferme et inflexible, pour ôter l’envie de beaucoup obtenir ; ou il est facile, pour fournir aux autres les occasions de lui demander, et se donner la même licence. Une autre fois, ou il est profond et dissimulé, pour cacher une vérité en l’annonçant, parce qu’il lui importe qu’il l’ait dite, et qu’elle ne soit pas crue ; ou il est franc et ouvert, afin que lorsqu’il dissimule ce qui ne doit pas être su, l’on croie néanmoins qu’on n’ignore rien de ce que l’on veut savoir, et que l’on se persuade qu’il a tout dit. De même, ou il est vif et grand parleur, pour faire parler les autres, pour empêcher qu’on ne lui parle de ce qu’il ne veut pas ou de ce qu’il ne doit pas savoir, pour dire plusieurs