Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/295

Cette page n’a pas encore été corrigée

mais, à parler exactement, il est vrai qu’elle en a plusieurs, et que chacun presque y a la sienne.

26 (VIII)

Deux sortes de gens fleurissent dans les cours, et y dominent dans divers temps, les libertins et les hypocrites : ceux-là gaiement, ouvertement, sans art et sans dissimulation ; ceux-ci finement, par des artifices, par la cabale. Cent fois plus épris de la fortune que les premiers, ils en sont jaloux jusqu’à l’excès ; ils veulent la gouverner, la posséder seuls, la partager entre eux et en exclure tout autre ; dignités, charges, postes, bénéfices, pensions, honneurs, tout leur convient et ne convient qu’à eux ; le reste des hommes en est indigne ; ils ne comprennent point que sans leur attache on ait l’impudence de les espérer. Une troupe de masques entre dans un bal : ont-ils la main, ils dansent, ils se font danser les uns les autres, ils dansent encore, ils dansent toujours ; ils ne rendent la main à personne de l’assemblée, quelque digne qu’elle soit de leur attention : on languit, on sèche de les voir danser et de ne danser point : quelques-uns murmurent ; les plus sages prennent leur parti et s’en vont.

27 (VIII) Il y a deux espèces de libertins : les libertins, ceux du moins qui croient l’être, et les hypocrites ou faux dévots, c’est-à-dire ceux qui ne veulent pas être crus libertins : les derniers dans ce genre-là sont les meilleurs.