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qu’il est plus aisé de prêcher que de plaider, et plus difficile de bien prêcher que de bien plaider.

27 (VII)

Quel avantage n’a pas un discours prononcé sur un ouvrage qui est écrit ! Les hommes sont les dupes de l’action et de la parole, comme de tout l’appareil de l’auditoire. Pour peu de prévention qu’ils aient en faveur de celui qui parle, ils l’admirent, et cherchent ensuite à le comprendre : avant qu’il ait commencé, ils s’écrient qu’il va bien faire ; ils s’endorment bientôt, et le discours fini, ils se réveillent pour dire qu’il a bien fait. On se passionne moins pour un auteur : son ouvrage est lu dans le loisir de la campagne, ou dans le silence du cabinet ; il n’y a point de rendez-vous publics pour lui applaudir, encore moins de cabale pour lui sacrifier tous ses rivaux, et pour l’élever à la prélature. On lit son livre, quelque excellent qu’il soit, dans l’esprit de le trouver médiocre ; on le feuillette, on le discute, on le confronte ; ce ne sont pas des sons qui se perdent en l’air et qui s’oublient ; ce qui est imprimé demeure imprimé. On l’attend quelquefois plusieurs jours avant l’impression pour le décrier, et le plaisir le plus délicat que l’on en tire vient de la critique qu’on en fait ; on est piqué d’y trouver à chaque page des traits qui doivent plaire, on va même souvent jusqu’à appréhender d’en être diverti, et on ne quitte ce livre que parce qu’il est bon. Tout le monde ne se donne pas pour orateur : les phrases,