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après avoir fait attention au génie et au caractère de ceux qui font pleurer, peut-être conviendra-t-on que c’est la matière qui se prêche elle-même, et notre intérêt le plus capital qui se fait sentir ; que c’est moins une véritable éloquence que la ferme poitrine du missionnaire qui nous ébranle et qui cause en nous ces mouvements. Enfin le prédicateur n’est point soutenu, comme l’avocat, par des faits toujours nouveaux, par de différents événements, par des aventures inouïes ; il ne s’exerce point sur les questions douteuses, il ne fait point valoir les violentes conjectures et les présomptions, toutes choses néanmoins qui élèvent le génie, lui donnent de la force et de l’étendue, et qui contraignent bien moins l’éloquence qu’elles ne la fixent et ne la dirigent. Il doit au contraire tirer son discours d’une source commune, et où tout le monde puise ; et s’il s’écarte de ces lieux communs, il n’est plus populaire, il est abstrait ou déclamateur, il ne prêche plus l’Evangile. Il n’a besoin que d’une noble simplicité, mais il faut l’atteindre, talent rare, et qui passe les forces du commun des hommes : ce qu’ils ont de génie, d’imagination, d’érudition et de mémoire, ne leur sert souvent qu’à s’en éloigner.

La fonction de l’avocat est pénible, laborieuse, et suppose, dans celui qui l’exerce, un riche fonds et de grandes ressources. Il n’est pas seulement