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ramentevoir… ; et dans les noms, pensées à pensers, un si beau mot, et dont le vers se trouvait si bien, grandes actions à prouesses, louanges à loz, méchanceté à mauvaistié, porte à buis, navire à nef, armée à ost, monastère à monstier, prairies à prées…, tous mots qui pouvaient durer ensemble d’une égale beauté, et rendre une langue plus abondante. L’usage a par l’addition, la suppression, le changement ou le dérangement de quelques lettres, fait frelater de fralater, prouver de preuver, profit de proufit, froment de froument, profil de pourfil, provision de pourveoir, promener de pourmener, et promenade de pourmenade. Le même usage fait, selon l’occasion, d’habile, d’utile, de facile, de docile, de mobile et de fertile, sans y rien changer, des genres différents : au contraire de vil, vile, subtil, subtile, selon leur terminaison masculins ou féminins. Il a altéré les terminaisons anciennes : de scel il a fait sceau ; de mantel, manteau ; de capel, chapeau ; de coutel, couteau ; de hamel, hameau ; de damoisel, damoiseau ; de jouvencel, jouvenceau ; et cela sans que l’on voie guère ce que la langue française gagne à ces différences et à ces changements. Est-ce donc faire pour le progrès d’une langue, que de déférer à l’usage ? Serait-il mieux de secouer le joug de son empire si despotique ? Faudrait-il, dans une langue vivante, écouter la seule raison qui prévient les équivoques, suit la racine des mots et le rapport