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8 (VIII)

Les grands en toutes choses se forment et se moulent sur de plus grands, qui de leur part, pour n’avoir rien de commun avec leurs inférieurs, renoncent volontiers à toutes les rubriques d’honneurs et de distinctions dont leur condition se trouve chargée, et préfèrent à cette servitude une vie plus libre et plus commode. Ceux qui suivent leur piste observent déjà par émulation cette simplicité et cette modestie : tous ainsi se réduiront par hauteur à vivre naturellement et comme le peuple. Horrible inconvénient !

9 (IV)

Certaines gens portent trois noms, de peur d’en manquer : ils en ont pour la campagne et pour la ville, pour les lieux de leur service ou de leur emploi. D’autres ont un seul nom dissyllabe, qu’ils anoblissent par des particules dès que leur fortune devient meilleure ; Celui-ci par la suppression d’une syllabe fait de son nom obscur un nom illustre ; celui-là par le changement d’une lettre en une autre se travestit, et de Syrus devient Cyrus. Plusieurs suppriment leurs noms, qu’ils pourraient conserver sans honte, pour en adopter de plus beaux, où ils n’ont qu’à perdre par la comparaison que l’on fait toujours d’eux qui les portent, avec les grands hommes qui les ont portés. Il s’en trouve enfin qui, nés à l’ombre des clochers de Paris, veulent être Flamands ou Italiens, comme si la roture n’était pas de tout pays, allongent leurs noms français