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leur propre mérite, sécher d’envie, mentir, médire, cabaler, nuire, c’est leur état. Voulez-vous qu’ils empiètent sur celui des gens de bien, qui avec les vices cachés fuient encore l’orgueil et l’injustice ?

23 (I)

Quand un courtisan sera humble, guéri du faste et de l’ambition ; qu’il n’établira point sa fortune sur la ruine de ses concurrents ; qu’il sera équitable, soulagera ses vassaux, payera ses créanciers ; qu’il ne sera ni fourbe ni médisant ; qu’il renoncera aux grands repas et aux amours illégitimes ; qu’il priera autrement que des lèvres, et même hors de la présence du Prince ; quand d’ailleurs il ne sera point d’un abord farouche et difficile ; qu’il n’aura point le visage austère et la mine triste ; qu’il ne sera point paresseux et contemplatif ; qu’il saura rendre par une scrupuleuse attention divers emplois très compatibles ; qu’il pourra et qu’il voudra même tourner son esprit et ses soins aux grandes et laborieuses affaires, à celles surtout d’une suite la plus étendue pour les peuples et pour tout l’Etat ; quand son caractère me fera craindre de le nommer en cet endroit, et que sa modestie l’empêchera, si je ne le nomme pas, de s’y reconnaître : alors je dirai de ce personnage : « Il est dévot » ; ou plutôt : « C’est un homme donné à son siècle pour le modèle d’une vertu sincère et pour le discernement de l’hypocrite. »