Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/20

Cette page n’a pas encore été corrigée

nombre de personnes capables de conseiller les rois, et de les aider dans l’administration de leurs affaires ; mais s’ils naissent enfin ces hommes habiles et intelligents, s’ils agissent selon leurs vues et leurs lumières sont-ils aimés, sont-ils estimés autant qu’ils le méritent ? Sont-ils loués de ce qu’ils pensent et de ce qu’ils font pour la patrie ? Ils vivent, il suffit : on les censure s’ils échouent, et on les envie s’ils réussissent. Blâmons le peuple où il serait ridicule de vouloir l’excuser. Son chagrin et sa jalousie, regardés des grands ou des puissants comme inévitables, les ont conduits insensiblement à le compter pour rien, et à négliger ses suffrages dans toutes leurs entreprises, à s’en faire même une règle de politique.

Les petits se haïssent les uns les autres lorsqu’ils se nuisent réciproquement. Les grands sont odieux aux petits par le mal qu’ils leur font, et par tout le bien qu’ils ne leur font pas : ils leur sont responsables de leur obscurité, de leur pauvreté et de leur infortune, ou du moins ils leur paraissent tels.

23 (V)

C’est déjà trop d’avoir avec le peuple une même religion et un même Dieu : quel moyen encore de s’appeler Pierre, Jean, Jacques, comme le marchand ou le laboureur ? Evitons d’avoir rien de commun avec la multitude ; affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent. Qu’elle s’approprie les douze apôtres, leurs disciples, les