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des combinaisons infinies de la puissance, de la faveur, du génie, des richesses, des dignités, de la noblesse, de la force, de l’industrie, de la capacité, de la vertu, du vice, de la faiblesse, de la stupidité, de la pauvreté, de l’impuissance, de la roture et de la bassesse. Ces choses, mêlées ensemble en mille manières différentes, et compensées l’une par l’autre en divers sujets, forment aussi les divers états et les différentes conditions. Les hommes d’ailleurs, qui tous savent le fort et le faible les uns des autres, agissent aussi réciproquement comme ils croient le devoir faire, connaissent ceux qui leur sont égaux, sentent la supériorité que quelques-uns ont sur eux, et celle qu’ils ont sur quelques autres ; et de là naissent entre eux ou la familiarité, ou le respect et la déférence, ou la fierté et le mépris. De cette source vient que dans les endroits publics et où le monde se rassemble, on se trouve à tous moments entre celui que l’on cherche à aborder ou à saluer, et cet autre que l’on feint de ne pas connaître, et dont l’on veut encore moins se laisser joindre ; que l’on se fait honneur de l’un, et qu’on a honte de l’autre ; qu’il arrive même que celui dont vous vous faites honneur, et que vous voulez retenir, est celui aussi qui est embarrassé de vous, et qui vous quitte ; et que le même est souvent celui qui rougit d’autrui, et dont on rougit, qui dédaigne ici, et qui là est dédaigné. Il est encore assez ordinaire de mépriser