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présomption, et ne persuade pas tant à celui qui en est blessé qu’il a plus d’esprit et de mérite que les autres, qu’il lui fait croire qu’il a lui seul de l’esprit et du mérite.

L’émulation et la jalousie ne se rencontrent guère que dans les personnes de même art, de mêmes talents et de même condition. Les plus vils artisans sont les plus sujets à la jalousie ; ceux qui font profession des arts libéraux ou des belles-lettres, les peintres, les musiciens, les orateurs, les poètes, tous ceux qui se mêlent d’écrire, ne devraient être capables que d’émulation. Toute jalousie n’est point exempte de quelque sorte d’envie, et souvent même ces deux passions se confondent. L’envie au contraire est quelquefois séparée de la jalousie : comme est celle qu’excitent dans notre âme les conditions fort élevées au-dessus de la nôtre ; les grandes fortunes, la faveur, le ministère.

L’envie et la haine s’unissent toujours et se fortifient l’une l’autre dans un même sujet ; et elles ne sont reconnaissables entre elles qu’en ce que l’une s’attache à la personne, l’autre à l’état et à la condition. Un homme d’esprit n’est point jaloux d’un ouvrier qui a travaillé une bonne épée, ou d’un statuaire qui vient d’achever une belle figure. Il sait qu’il y a dans ces arts des règles et une méthode