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votre récompense. Souvenez-vous seulement qu’il y a dans la vie beaucoup de choses inutiles, et qu’il y en a peu qui mènent à une fin solide. Ce n’est point à moi à délibérer sur le parti que je dois prendre, il n’est plus temps : pour vous, qui avez à me survivre, vous ne sauriez peser trop sûrement ce que vous devez faire. » Et ce furent là ses dernières paroles.

Cicéron, dans le troisième livres des Tusculanes, dit que Théophraste mourant se plaignit de la nature, de ce qu’elle avait accordé aux cerfs et aux corneilles une vie si longue et qui leur est si inutile, lorsqu’elle n’avait donné aux hommes qu’une vie très courte, bien qu’il leur importe si fort de vivre longtemps ; que si l’âge des hommes eût pu s’étendre à un plus grand nombre d’années, il serait arrivé que leur vie aurait été cultivée par une doctrine universelle, et qu’il n’y aurait eu dans le monde ni art ni science qui n’eût atteint sa perfection. Et saint Jérôme, dans l’endroit déjà cité, assure que Théophraste, à l’âge de cent sept ans, frappé de la maladie dont il mourut, regretta de sortir de la vie dans un temps où il ne faisait que commencer à être sage.

Il avait coutume de dire qu’il ne faut pas aimer ses amis pour les éprouver, mais les éprouver pour les aimer ; que les amis doivent être communs entre les frères, comme tout est commun entre les amis ; que l’on devait