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ques, premier objet des besoins et de la curiosité de l’homme.

La morale faisoit, à la vérité, une partie essentielle de l’éducation qu’on donnoit à la jeunesse ; mais dans les écoles, l’étude de cette science étoit presque entièrement surbordonnée à celle de l’éloquence ; et cette circonstance contribua beaucoup à en corrompre les principes. On n’y cherchoit ordinairement que ce qui pouvoit servir à émouvoir les passions et à faire obtenir les suffrages d’une assemblée tumultueuse. Cette perversité fut même érigée en science par ces vains et subtils déclamateurs appelés sophistes.

En même temps les guerres extérieures et civiles, l’illégalité des fortunes, la tyrannie exercée par les républiques puissantes sur les républiques foibles, et, dans l’intérieur des États, la facilité d’abuser d’un pouvoir populaire et mal déterminé, corrompoient sensiblement les mœurs ; et les républiques se ressentirent bientôt, par l’altération des anciennes institutions, du changement qui s’étoit opéré dans les esprits. Mais, à côté des vices et de la corruption, les lumières que donne l’expérience, et l’indignation même qu’inspire le crime, forment souvent des hommes que leurs vertus élèvent non-seulement au-dessus de leur siècle, mais encore au-dessus de la vertu moins éclairée des siècles qui les ont précédés. Cependant la carrière politique est alors