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craintes et d’espérances, des passions si vives et des affaires si sérieuses ?


64 (IV)


La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique, qui applique : il faut arranger ses pièces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures, on est échec, quelquefois mat ; souvent, avec des pions qu’on ménage bien, on va à dame, et l’on gagne la partie : le plus habile l’emporte, ou le plus heureux.


65 (V)


Les roues, les ressorts, les mouvements sont cachés ; rien ne paraît d’une montre que son aiguille, qui insensiblement s’avance et achève son tour : image du courtisan, d’autant plus parfaite qu’après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d’où il est parti.


66 (I)


« Les deux tiers de ma vie sont écoulés ; pourquoi tant m’inquiéter sur ce qui m’en reste ? La plus brillante fortune ne mérite point ni le tourment que je me donne, ni les petitesses où je me surprends, ni les humiliations, ni les hontes que j’essuie ; trente années détruiront ces colosses de puissance qu’on ne voyait bien qu’à force de lever la tête ; nous disparaîtrons, moi qui suis si peu de chose, et ceux que je contemplais si avidement, et de qui j’espérais toute ma grandeur ; le meilleur de tous les biens, s’il y a des biens, c’est le repos, la retraite