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et d’un homme qui entre sur la scène ; sa voix, sa démarche, son geste, son attitude accompagnent son visage. Il est fin, cauteleux, doucereux, mystérieux ; il s’approche de vous, et il vous dit à l’oreille : Voilà un beau temps ; voilà un grand dégel. S’il n’a pas les grandes manières, il a du moins toutes les petites, et celles même qui ne conviennent guère qu’à une jeune précieuse. Imaginez-vous l’application d’un enfant à élever un château de cartes ou à se saisir d’un papillon : c’est celle de Théodote pour une affaire de rien, et qui ne mérite pas qu’on s’en remue ; il la traite sérieusement, et comme quelque chose qui est capital ; il agit, il s’empresse, il la fait réussir : le voilà qui respire et qui se repose, et il a raison ; elle lui a coûté beaucoup de peine. L’on voit des gens enivrés, ensorcelés de la faveur ; ils y pensent le jour, ils y rêvent la nuit ; ils montent l’escalier d’un ministre, et ils en descendent ; ils sortent de son antichambre, et ils y rentrent ; ils n’ont rien à lui dire, et ils lui parlent ; ils lui parlent une seconde fois : les voilà contents, ils lui ont parlé. Pressez-les, tordez-les, ils dégouttent l’orgueil, l’arrogance, la présomption ; vous leur adressez la parole, ils ne vous répondent point, ils ne vous connaissent point, ils ont les yeux égarés et l’esprit aliéné : c’est à leurs parents à en prendre soin et à les renfermer, de peur que leur folie ne devienne fureur,