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22 (VI)


L’on se couche à la cour et l’on se lève sur l’intérêt ; c’est ce que l’on digère le matin et le soir, le jour et la nuit ; c’est ce qui fait que l’on pense, que l’on parle, que l’on se tait, que l’on agit ; c’est dans cet esprit qu’on aborde les uns et qu’on néglige les autres, que l’on monte et que l’on descend ; c’est sur cette règle que l’on mesure ses soins, ses complaisances, son estime, son indifférence, son mépris. Quelques pas que quelques-uns fassent par vertu vers la modération et la sagesse, un premier mobile d’ambition les emmène avec les plus avares, les plus violents dans leurs désirs et les plus ambitieux : quel moyen de demeurer immobile où tout marche, où tout se remue, et de ne pas courir où les autres courent ? On croit même être responsable à soi-même de son élévation et de sa fortune : celui qui ne l’a point faite à la cour est censé ne l’avoir pas dû faire, on n’en appelle pas. Cependant s’en éloignera-t-on avant d’en avoir tiré le moindre fruit, ou persistera-t-on à y demeurer sans grâces et sans récompenses ? question si épineuse, si embarrassée, et d’une si pénible décision, qu’un nombre infini de courtisans vieillissent sur le oui et sur le non, et meurent dans le doute.


23 (VI)


Il n’y a rien à la cour de si méprisable et de si indigne qu’un homme qui ne peut contribuer en rien à notre fortune : je m’étonne qu’il ose se montrer.