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quelle excuse ! Y a-t-il une passion, quelque violente ou honteuse qu’elle soit, qui ne pût tenir ce même langage ? Serait-on reçu à dire qu’on ne peut se passer de voler, d’assassiner, de se précipiter ? Un jeu effroyable, continuel, sans retenue, sans bornes, où l’on n’a en vue que la ruine totale de son adversaire, où l’on est transporté du désir du gain, désespéré sur la perte, consumé par l’avarice, où l’on expose sur une carte ou à la fortune du dé la sienne propre, celle de sa femme et de ses enfants, est-ce une chose qui soit permise ou dont l’on doive se passer ? Ne faut-il pas quelquefois se faire une plus grande violence, lorsque, poussé par le jeu jusques à une déroute universelle, il faut même que l’on se passe d’habits et de nourriture, et de les fournir à sa famille ?

Je ne permets à personne d’être fripon ; mais je permets à un fripon de jouer un grand jeu : je le défends à un honnête homme. C’est une trop grande puérilité que de s’exposer à une grande perte.


76 (I)


Il n’y a qu’une affliction qui dure, qui est celle qui vient de la perte de biens : le temps, qui adoucit toutes les autres, aigrit celle-ci. Nous sentons à tous moments, pendant le cours de notre vie, où le bien que nous avons perdu nous manque.


77 (IV)


Il fait bon avec celui qui ne se sert pas de son bien à marier ses filles, à payer ses dettes, ou à