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après avoir tenté au delà de leur fortune, et forcé, pour ainsi dire, leur destinée : incapables tout à la fois de ne pas vouloir être riches et de demeurer riches.


63 (V)


Dîne bien, Cléarque, soupe le soir, mets du bois au feu, achète un manteau, tapisse ta chambre : tu n’aimes point ton héritier, tu ne le connais point, tu n’en as point.


64 (V)


Jeune, on conserve pour sa vieillesse ; vieux, on épargne pour la mort. L’héritier prodigue paye de superbes funérailles, et dévore le reste.


65 (V)


L’avare dépense plus mort en un seul jour, qu’il ne faisait vivant en dix années ; et son héritier plus en dix mois, qu’il n’a su faire lui-même en toute sa vie.


66 (V)


Ce que l’on prodigue, on l’ôte à son héritier ; ce que l’on épargne sordidement, on se l’ôte à soi-même. Le milieu est justice pour soi et pour les autres.


67 (V)


Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères, et réciproquement les pères à leurs enfants, sans le titre d’héritiers.


68 (V)


Triste condition de l’homme, et qui dégoûte de la vie ! il faut suer, veiller, fléchir, dépendre, pour avoir un peu de fortune, ou la devoir à l’agonie de nos proches. Celui qui s’empêche de souhaiter que son père y passe bientôt est homme de bien.