Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/411

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il faut moins d’esprit que d’habitude ou d’expérience pour faire sa fortune ; l’on y songe trop tard, et quand enfin l’on s’en avise, l’on commence par des fautes que l’on n’a pas toujours le loisir de réparer : de là vient peut-être que les fortunes sont si rares.

(V) Un homme d’un petit génie peut vouloir s’avancer : il néglige tout, il ne pense du matin au soir, il ne rêve la nuit qu’à une seule chose, qui est de s’avancer. Il a commencé de bonne heure, et dès son adolescence, à se mettre dans les voies de la fortune : s’il trouve une barrière de front qui ferme son passage, il biaise naturellement, et va à droit ou à gauche, selon qu’il y voit de jour et d’apparence, et si de nouveaux obstacles l’arrêtent, il rentre dans le sentier qu’il avait quitté ; il est déterminé, par la nature des difficultés, tantôt à les surmonter, tantôt à les éviter, ou à prendre d’autres mesures : son intérêt, l’usage, les conjectures le dirigent. Faut-il de si grands talents et une si bonne tête à un voyageur pour suivre d’abord le grand chemin, et s’il est plein et embarrassé, prendre la terre, et aller à travers champs, puis regagner sa première route, la continuer, arriver à son terme ? Faut-il tant d’esprit pour aller à ses fins ? Est-ce donc un prodige qu’un sot riche et accrédité ?

(V) Il y a même des stupides, et j’ose dire des imbé