Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/393

Cette page n’a pas encore été corrigée



75 (VIII)


Ascagne est statuaire, Hégion fondeur, Aeschine foulon, et Cydias bel esprit, c’est sa profession. Il a une enseigne, un atelier, des ouvrages de commande, et des compagnons qui travaillent sous lui : il ne vous saurait rendre de plus d’un mois les stances qu’il vous a promises, s’il ne manque de parole à Dosithée, qui l’a engagé à faire une élégie ; une idylle est sur le métier, c’est pour Crantor, qui le presse, et qui lui laisse espérer un riche salaire. Prose, vers, que voulez-vous ? Il réussit également en l’un et en l’autre. Demandez-lui des lettres de consolation, ou sur une absence, il les entreprendra ; prenez-les toutes faites et entrez dans son magasin, il y a à choisir. Il a un ami qui n’a point d’autre fonction sur la terre que de le promettre longtemps à un certain monde, et de le présenter enfin dans les maisons comme homme rare et d’une exquise conversation ; et là, ainsi que le musicien chante et que le joueur de luth touche son luth devant les personnes à qui il a été promis, Cydias, après avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts, débite gravement ses pensées quintessenciées et ses raisonnements sophistiqués. Différent de ceux qui convenant de principes, et connaissant la raison ou la vérité qui est une, s’arrachent la parole l’un à l’autre pour s’accorder sur leurs sentiments, il n’ouvre la bouche que pour contredire : « Il me semble, dit-il