Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/387

Cette page n’a pas encore été corrigée



63 (I)


Combien de belles et inutiles raisons à étaler à celui qui est dans une grande adversité, pour essayer de le rendre tranquille ! Les choses de dehors, qu’on appelle les événements, sont quelquefois plus fortes que la raison et que la nature. « Mangez, dormez, ne vous laissez point mourir de chagrin, songez à vivre » : harangues froides, et qui réduisent à l’impossible. « Etês-vous raisonnable de vous tant inquiéter ? » n’est-ce pas dire : « Etes-vous fou d’être malheureux ? »


64 (I)


Le conseil, si nécessaire pour les affaires, est quelquefois dans la société nuisible à qui le donne, et inutile à celui à qui il est donné. Sur les mœurs, vous faites remarquer des défauts ou que l’on n’avoue pas, ou que l’on estime des vertus ; sur les ouvrages, vous rayez les endroits qui paraissent admirables à leur auteur, où il se complaît davantage, où il croit s’être surpassé lui-même. Vous perdez ainsi la confiance de vos amis, sans les avoir rendus ni meilleurs ni plus habiles.


65 (I)


L’on a vu, il n’y a pas longtemps, un cercle de personnes des deux sexes, liées ensemble par la conversation et par un commerce d’esprit. Ils laissaient au vulgaire l’art de parler d’une manière intelligible ; une chose dite entre eux peu clairement en entraînait une autre encore plus obscure,