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de voir, et changea ses soupçons en certitude. Elle s’éloigne d’Euphrosyne, ne lui connaît plus le mérite qui l’avait charmée, perd le goût de sa conversation ; elle ne l’aime plus ; et ce changement lui fait sentir que l’amour dans son cœur a pris la place de l’amitié. Ctésiphon et Euphrosyne se voient tous les jours, s’aiment, songent à s’épouser, s’épousent. La nouvelle s’en répand par toute la ville ; et l’on publie que deux personnes enfin ont eu cette joie si rare de se marier à ce qu’ils aimaient. Emire l’apprend, et s’en désespère. Elle ressent tout son amour : elle recherche Euphrosyne pour le seul plaisir de revoir Ctésiphon ; mais ce jeune mari est encore l’amant de sa femme, et trouve une maîtresse dans une nouvelle épouse ; il ne voit dans Emire que l’amie d’une personne qui lui est chère. Cette fille infortunée perd le sommeil, et ne veut plus manger : elle s’affaiblit ; son esprit s’égare ; elle prend son frère pour Ctésiphon, et elle lui parle comme à un amant ; elle se détrompe, rougit de son égarement ; elle retombe bientôt dans de plus grands, et n’en rougit plus ; elle ne les connaît plus. Alors elle craint les hommes ; mais trop tard : c’est sa folie. Elle a des intervalles où sa raison lui revient, et où elle gémit de la retrouver. La jeunesse de Smyrne, qui l’a vue si fière et si insensible, trouve que les Dieux l’ont trop punie.


Du cœur

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