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amoureux, se perça le sein à ses pieds ; le second, plein de désespoir de n’être pas écouté, alla se faire tuer à la guerre de Crète et le troisième mourut de langueur et d’insomnie. Celui qui les devait venger n’avait pas encore paru. Ce vieillard qui avait été si malheureux dans ses amours s’en était guéri par des réflexions sur son âge et sur le caractère de la personne à qui il voulait plaire : il désira de continuer de la voir, et elle le souffrit. Il lui amena un jour son fils, qui était jeune, d’une physionomie agréable, et qui avait une taille fort noble. Elle le vit avec intérêt ; et comme il se tut beaucoup en la présence de son père, elle trouva qu’il n’avait pas assez d’esprit, et désira qu’il en eût eu davantage. Il la vit seul, parla assez, et avec esprit ; mais comme il la regarda peu, et qu’il parla encore moins d’elle et de sa beauté, elle fut surprise et comme indignée qu’un homme si bien fait et si spirituel ne fût pas galant. Elle s’entretint de lui avec son amie, qui voulut le voir. Il n’eut des yeux que pour Euphrosyne, il lui dit qu’elle était belle ; et Emire si indifférente, devenue jalouse, comprit que Ctésiphon était persuadé de ce qu’il disait, et que non seulement était galant, mais même qu’il était tendre. Elle se trouva depuis ce temps moins libre avec son amie. Elle désira de les voir ensemble une seconde fois pour être plus éclaircie ; et une seconde entrevue lui fit voir encore plus qu’elle ne craignait