Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/344

Cette page n’a pas encore été corrigée

que l’amitié. Une jeune et charmante personne, à qui elle devait cette expérience la lui avait rendue si douce qu’elle ne pensait qu’à la faire durer, et n’imaginait pas par quel autre sentiment elle pourrait jamais se refroidir sur celui de l’estime et de la confiance, dont elle était si contente. Elle ne parlait que d’Euphrosyne : c’était le nom de cette fidèle amie, et tout Smyrne ne parlait que d’elle et d’Euphrosyne leur amitié passait en proverbe. Emire avait deux frères qui étaient jeunes, d’une excellente beauté, et dont toutes les femmes de la ville étaient éprises ; et il est vrai qu’elle les aima toujours comme une sœur aime ses frères. Il y eut un prêtre de Jupiter, qui avait accès dans la maison de son père, à qui elle plut, qui osa le lui déclarer, et ne s’attira que du mépris. Un vieillard, qui, se confiant en sa naissance et en ses grands biens, avait eu la même audace, eut aussi la même aventure. Elle triomphait cependant ; et c’était jusqu’alors au milieu de ses frères, d’un prêtre et d’un vieillard, qu’elle se disait insensible. Il sembla que le ciel voulut l’exposer à de plus fortes épreuves, qui ne servirent néanmoins qu’à la rendre plus vaine, et qu’à l’affermir dans la réputation d’une fille que l’amour ne pouvait toucher. De trois amants que ses charmes lui acquirent successivement, et dont elle ne craignit pas de voir toute la passion, le premier, dans un transport