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incapable de céder à l’ennemi, de plier sous le nombre ou sous les obstacles ; comme une âme du premier ordre, pleine de ressources et de lumières, et qui voyait encore où personne ne voyait plus ; comme celui qui, à la tête des légions, était pour elles un présage de la victoire, et qui valait seul plusieurs légions ; qui était grand dans la prospérité, plus grand quand la fortune lui a été contraire (la levée d’un siège, une retraite, l’ont plus ennobli que ses triomphes ; l’on ne met qu’après les batailles gagnées et les villes prises) ; qui était rempli de gloire et de modestie ; on lui a entendu dire : Je fuyais, avec la même grâce qu’il disait : Nous les battîmes ; un homme dévoué à l’Etat, à sa famille, au chef de sa famille ; sincère pour Dieu et pour les hommes, autant admirateur du mérite que s’il lui eût été moins propre et moins familier ; un homme vrai, simple, magnanime, à qui il n’a manqué que les moindres vertus.


33 (I)


Les enfants des Dieux, pour ainsi dire, se tirent des règles de la nature, et en sont comme l’exception. Ils n’attendent presque rien du temps et des années. Le mérite chez eux devance l’âge. Ils naissent instruits, et ils sont plus tôt des hommes parfaits que le commun des hommes ne sort de l’enfance.