Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/304

Cette page n’a pas encore été corrigée



La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief.

Un extérieur simple est l’habit des hommes vulgaires, il est taillé pour eux et sur leur mesure ; mais c’est une parure pour ceux qui ont rempli leur vie de grandes actions : je les compare à une beauté négligée, mais plus piquante.

Certains hommes, contents d’eux-mêmes, de quelque action ou de quelque ouvrage qui ne leur a pas mal réussi, et ayant ouï dire que la modestie sied bien aux grands hommes, osent être modestes, contrefont les simples et les naturels : semblables à ces gens d’une taille médiocre qui se baissent aux portes, de peur de se heurter.


I8 (VI)


Votre fils est bègue : ne le faites pas monter sur la tribune. Votre fille est née pour le monde : ne l’enfermez pas parmi les vestales. Xanthus, votre affranchi, est faible et timide : ne différez pas, retirez-le des légions et de la milice. « Je veux l’avancer », dites-vous. Comblez-le de biens, surchargez-le de terres, de titres et de possessions ; servez-vous du temps ; nous vivons dans un siècle où elles lui feront plus d’honneur que la vertu. « Il m’en coûterait trop », ajoutez-vous. Parlez-vous sérieusement, Crassus ? Songez-vous que c’est une goutte d’eau que vous puisez du Tibre pour enrichir Xanthus que vous aimez, et pour prévenir