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vices, les travers et les ridicules, connoissoit trop les hommes pour les rechercher beaucoup ; mais il put aimer la société sans s’y livrer ; qu’il devoit y être très-réservé dans son ton et dans ses manières, attentif à ne pas blesser des convenances qu’il sentoit si bien ; trop accoutumé enfin à observer dans les autres les défauts du caractère et les foiblesses de l’amour-propre, pour ne pas les réprimer en lui-même.

Le livre des Caractères fit beaucoup de bruit dès sa naissance. On attribua cet éclat aux traits satiriques qu’on y remarqua, ou qu’on crut y voir. On ne peut pas douter que cette circonstance n’y contribuât en effet. Peut-être que les hommes en général n’ont ni le goût assez exercé, ni l’esprit assez éclairé, pour sentir tout le mérite d’un ouvrage de génie dès le moment où il paroît, et qu’ils ont besoin d’être avertis de ses beautés par quelque passion particulière, qui fixe plus fortement leur attention sur elles. Mais si la malignité hâta le succès du livre de La Bruyère, le temps y a mis le sceau : on la réimprimé cent fois ; on