Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/284

Cette page n’a pas encore été corrigée

longtemps soutenue, et où un seul a suffi pour le projet et pour la dépense, j’admire deux choses : la tranquillité et le flegme de celui qui a tout remué, comme l’embarras et l’action de ceux qui n’ont rien fait.


49 (IV)


Les connaisseurs, ou ceux qui se croient tels, se donnent voix délibérative et décisive sur les spectacles, se cantonnent aussi, et se divisent en des partis contraires, dont chacun, poussé par un tout autre intérêt que par celui du public ou de l’équité, admire un certain poème ou une certaine musique, et siffle tout autre. Ils nuisent également, par cette chaleur à défendre leurs préventions, et à la faction opposée et à leur propre cabale ; ils découragent par mille contradictions les poètes et les musiciens, retardent les progrès des sciences et des arts, en leur ôtant le fruit qu’ils pourraient tirer de l’émulation et de la liberté qu’auraient plusieurs excellents maîtres de faire, chacun dans leur genre et selon leur génie, de très bons ouvrages.


50 (IV)


D’où vient que l’on rit si librement au théâtre, et que l’on a honte d’y pleurer ? Est-il moins dans la nature de s’attendrir sur le pitoyable que d’éclater sur le ridicule ? Est-ce l’altération des traits qui nous retient ? Elle est plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur, et l’on détourne son visage pour rire comme pour pleurer en la