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gens, je ne dis pas qu’il veuille approuver, mais qu’il daigne lire, incapable d’être corrigé par cette peinture, qu’il ne lira point.

25. Théocrine sait des choses assez inutiles ; il a des sentiments toujours singuliers, il est moins profond que méthodique, il n’exerce que sa mémoire ; il est abstrait, dédaigneux, et il semble toujours rire en lui-même de ceux qu’il croit ne le valoir pas. Le hasard fait que je lui lis mon ouvrage, il l’écoute. Est-il lu, il me parle du sien. « Et du vôtre, me direz-vous, qu’en pense-t-il ? » — Je vous l’ai déjà dit, il me parle du sien.

26. Il n’y a point d’ouvrage si accompli qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en croire tous les censeurs qui ôtent chacun l’endroit qui leur plaît le moins.

27. C’est une expérience faite, que s’il se trouve dix personnes qui effacent d’un livre une expression ou un sentiment, l’on en fournit aisément un pareil nombre qui les réclame. Ceux-ci s’écrient : « Pourquoi supprimer cette pensée ? elle est neuve, elle est belle, et le tour en est admirable » ; et ceux-là affirment, au contraire, ou qu’ils auroient négligé cette pensée, ou qu’ils lui auroient donné un autre tour. « Il y a un terme, disent les uns, dans votre ouvrage, qui est rencontré, et qui peint la chose au naturel ; il y a un mot, disent les autres, qui est hasardé, et qui d’ailleurs ne signifie pas assez ce