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vision qu’il a eue pendant la nuit, dont il est encore tout épouvanté, et qu’il prend pour un mauvais présage. Ensuite, ses frayeurs venant à croître, il se déshabille et ôte jusques à sa chemise pour pouvoir mieux se sauver à la nage, et après cette précaution il ne laisse pas de prier les nautoniers de le mettre à terre. Que si cet homme faible, dans une expédition militaire où il s’est engagé, entend dire que les ennemis sont proches, il appelle ses compagnons de guerre, observe leur contenance sur ce bruit qui court, leur dit qu’il est sans fondement, et que les coureurs n’ont pu discerner si ce qu’ils ont découvert à la campagne sont amis ou ennemis ; mais si l’on n’en peut plus douter par les clameurs que l’on entend, et s’il a vu lui-même de loin le commencement du combat, et que quelques hommes aient paru tomber à ses yeux, alors feignant que la précipitation et le tumulte lui ont fait oublier ses armes, il court les quérir dans sa tente, où il cache son épée sous le chevet de son lit, et emploie beaucoup de temps à la chercher,