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138 DE L’ESPRIT CHAGRIN,

importunités, le lui a vendu (5), il se repent de l’avoir acheté. « Ne suis-je pas trompé ? » demande- t-il ; I’ et exigeroit-on si peu d’une chose qui seroit sans défauts ? » A ceu.x qui lui font les compliments ordinaires sur la naissance d’un fils, et sur l’aug- mentation de sa famille : «Ajoutez, leur dit- il, pour ne rien oublier, sur ce que mon bien est di- minué de la moitié (6). » Un homme chagrin, après avoir eu de ses juges ce qu’il demandoit, ei l’avoir emporté tout d’une voix sur son adversaire, se plaint encore de celui qui a écrit ou parlé pour lui, de ce qu’il n’a pas touché les meilleurs moyens de sa cause ; ou lors([ue ses amis ont fait ensemble une ccriaine somme pour le secourir dans un besoin pressant (7), si quelqu’un l’en félicite, et le convie à mieux espérer de la fortune : " Comment, lui ré- pond-il , puis-je être sensible à la moindre joie, quand je pense que je dois rendre cet argent à chacun de ceux qui me l’ont prêté, et n’être pas en- core quitte envers eux de la reconnoissance de leur bienfait ? "

NOTES.

(Ij Si l’on vouloit traduire littéralement le texte cor- rigé par Casaubon , cette définition seroit : « L’esprit « chagrin est un blâme injuste de ce que l’on reçoit ; " et d’après le manuscrit du Vatican corrigé par Schneider : « Une disposition à blâmer ce qui vous est donné avec « bonté. »